Pierre de Ronsard

 

 

Les quatre premiers livres des Odes

 

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Editionsbericht
Literatur

 

AU LECTEUR.

 

SI les hommes tant des siecles passés, que du nostre, ont merité quelque louange pour avoir piqué diligentement après les traces de ceus qui courant par la carriere de leurs inventions, ont de bien loin franchi la borne: combien davantage doit on vanter le coureur, qui galopant librement par les campaignes Attiques, & Romaines osa tracer un sentier inconnu pour aller à l'immortalité? Non que je soi, lecteur, si gourmand de gloire, ou tant tormenté d'ambitieuse presumption, que je te vueille forcer de me bailler ce que le tens peut estre, me donnera (tant s'en faut, que c'est la moindre affection que j'aie, de me voir pour si peu de frivoles jeunesses estimé.) Mais quand tu m'appelleras le premier auteur Lirique François, et celui qui a guidé les autres au chemin de si honneste labeur, lors tu me rendras ce que tu me dois, & je m'efforcerai te faire apprendre qu'en vain je ne l'aurai receu. Bien que la jeunesse soit tousjours elongnée de toute studieuse occupation pour les plaisirs voluntaires qui la maistrisent: si est ce que des mon enfance j'ai tousjours estimé l'estude des bonnes lettres, l'heureuse felicité de la vie, & sans laquelle on doit desesperer ne pouvoir jamais attaindre au comble du [A2v] parfait contententement. Donques desirant par elle m'approprier quelque louange, encores non connue, ni atrapée par mes devanciers, & ne voiant en nos Poëtes François, chose qui fust suffisante d'imiter: j'allai voir les étrangers, & me rendi familier d'Horace, contrefaisant sa naive douceur, des le méme tens que Clement Marot (seulle lumiere en ses ans la vulgaire poësie) se travailloit à la poursuite de son Psautier, & osai le premier des nostres, enrichir ma langue de ce nom Ode, comme l'on peut veoir par le titre d'une imprimée sous mon nom dedans le livre de Jaques Peletier du Mans, l'un des plus excelens Poëtes de nostre âge, affin que nul ne s'atribue ce que la verité commande estre à moi. Il est certain que telle Ode est imparfaite, pour n'estre mesurée, ne propre à la lire, ainsi que l'Ode le requiert, comme sont encores douze, ou treze, que j'ai mises en mon Bocage, sous autre nom que d'Odes, pour cette méme raison, servans de temoignage par ce vice, à leur antiquité. Depuis aiant fait quelques uns de mes amis participans de telles nouvelles inventions, approuvants mon entreprise, se sont diligentés faire apparoistre combien nostre France est hardie, & pleine de tout vertueus labeur, laquelle chose m'est aggreable pour veoir, par mon moien, les vieus Liriques, si heureusement resuscités. Tu ju[A3r]geras incontinant, Lecteur, que je suis un vanteur, & glouton de louange: mais si tu veus entendre le vrai, je m'assure tant de ton accoustumée honnesteté, que non seulement tu me favoriseras: mais aussi quand tu liras quelques trais de mes vers, qui se pourroient trouver dans les oeuvres d'autrui, inconsiderément tu ne me diras imitateur de leurs écris, car l'imitation des nostres m'est tant odieuse (d'autant que la langue est encores en son enfance) que pour cette raison je me suis éloingné d'eus, prenant stile apart, sens apart, euvre apart, ne desirant avoir rien de commun avecq' une si monstrueuse erreur. Donques m'acheminant par un sentier inconnu, & monstrant le moien de suivre Pindare, & Horace, je puis bien dire, (& certes sans vanterie) ce que lui-méme modestement témoigne de lui,

Libera per vacuum posui vestigia princeps,
Non aliena meo pressi pede.

Je fu maintesfois avecques prieres admonesté de mes amis faire imprimer ce mien petit labeur, & maintesfois j'ai refusé apreuvant la sentence de mon sententieus Auteur,

Nonumque prematur in annum.

Et mément solicité par Joachim du Bellai, duquel le jugement, l'etude pareille, la longue frequentation, & l'ardant desir de reveiller la Poësie Fran[A3v]çoise avant nous foible, & languissante, (je excepte tousjours Heroet, Sceve, & Saint Gelais) nous a rendus presque semblables d'esprit, d'inventions, et de labeur. Je ne te dirai point à present que signifie Strophe, Antistrophe, Epode (laquelle est tousjours differente du Strophe & Antistrophe de nombre, ou de rime) ne quelle estoit la lire, ses coudes, ou ses cornes: aussi peu si Mercure la façonna de l'escaille d'une tortue, ou Polypheme des cornes d'un cerf atachant les cordes aux cornes du cerf, le creus de la teste servant de concavité resonante: en quel honneur estoient jadis les Poëtes liriques, comme ils accordoient les guerres emeues entre les Rois, & quelle somme d'argent ils prenoient pour louer les hommes: je tairai comme Pindare faisoit chanter les hinnes écris à la louange des vainqueurs Olympiens, Pithiens, Nemeans, Isthmiens. Je reserve tout ce discours à un meilleur loisir<:> si je voi que telles choses meritent quelque breve exposition, ce ne me sera labeur de te les faire entendre, mais plaisir, t'assurant que je m'estimerai fortuné, aiant fait diligence qui te soit agreable. Je ne fai point de doute que ma Poësie tant varie ne semble facheuse aus oreilles de nos rimeurs, & principalement des courtizans, qui n'admirent qu'un petit sonnet petrarquizé, ou quelque mignardise d'amour qui continue tousjours en [A4r] son propos, pour le moins, je m'assure qu'ils ne me sçauroient accuser, sans condamner premierement Pindare auteur de telle copieuse diversité, & oultre que c'est la sauce, à laquelle on doit gouster l'Ode. Je suis de cette opinion que nulle Poësie se doit louer pour acomplie, si elle ne ressemble la nature, laquelle ne fut estimée belle des anciens, que pour estre inconstante, & variable en ses perfections. Il ne faut aussi que le volage lecteur me blâme de trop me louer, car s'il n'a autre argument pour médire que ce point là, ou mon orthographe, tant s'enfaut que je prenne égard a tel ignorant, que ce me sera plaisir de l'ouir japper, & caqueter, aiant pour ma deffence l'exemple de tous les Poëtes Grecs & Latins. Et pour parler rondement, ces petis lecteurs Poëtastres, qui ont les yeus si agus à noter les frivoles fautes d'autrui, le blâmant pour un A, mal écrit, pour une rime non riche, ou un point superflu, & bref pour quelque legere faute survenue en l'impression, montrent evidemment leur peu de jugement, de s'attacher à ce qui n'est rien, laissant couler les beaus mots sans les louer, ou admirer. Pour telle vermine de gens ignorantement envieuse ce petit labeur n'est publié, mais pour les gentils espris, ardans de la vertu, & dedaignans mordre comme les mâtins, la pierre qu'ils ne peuvent digerer. Certes je m'assure [A4v] que tels debonnaires lecteurs ne me blâmeront, moi de me louer quelque fois modestement, ni aussi de trop hautement celebrer les honneurs des hommes, favorisés par mes vers<:> car outre que ma boutique n'est chargée d'autres drogues que de louanges, & d'honneurs, c'est le vrai but d'un poëte Liriq de celebrer jusques à l'extremité celui qu'il entreprend de louer. Et s'il ne connoist en lui chose qui soit dinne de grande recommandation, il doit entrer dans sa race, & là chercher quelqu'un de ses aieus, jadis braves, & vaillans: ou l'honnorer par le titre de son païs, ou de quelque heureuse fortune survenue soit à lui, soit aus siens, ou par autres vagabondes digressions, industrieusement brouillant ores ceci, ores cela, & par l'un louant lautre, tellement que tous deus se sentent d'une méme louange. Telles inventions encores te ferai-je veoir dans mes autres livres, ou tu pourras (si les Muses me favorisent comme j'espere) contempler de plus prés les saintes conceptions de Pindare, & ses admirables inconstances, que le tens nous avoit si longuement celées, & ferai encores revenir (si je puis) l'usage de la lire aujourdui resuscitée en Italie, laquelle lire seule doit & peut animer les vers, & leur donner le juste poix de leur gravité: n'affectant pour ce livre ici aucun titre de reputation, lequel ne t'est laché que pour al[A5r]ler découvrir ton jugement, affin de t'envoier aprés un meilleur combatant, au moins si tu ne te faches dequoi je me travaille faire entendre aus étrangers que nostre langue (ainsi que nous les surpassons en prouesses, en foi, & religion,) de bien loin devanceroit la leur, si ces fameus Sciamaches d'au jourdhui vouloient prendre les armes pour la defendre, & victorieusement la pousser dans les païs étrangers. Mais que doit on esperer d'eus? lesquels étants parvenus plus par opinion, peut estre, que par raison, ne font trouver bon aus princes sinon ce qu'ils leur plaist: et ne pouvants souffrir que la clarté brusle leur ignorance, en medisant des labeurs d'autrui deçoivent le naturel jugement des hommes abusés par leurs mines. Tel fut jadis Bacchylide à l'entour d'Hieron Roi de Sicile tant notté par les vers de Pindare: & tel encores fut le sçavant envieux Challimaq impatient d'endurer qu'un autre flattast les oreilles de son roi Ptolémée, medisant de ceus qui táchoient comme lui de gouter les mannes de la roialle grandeur. Bien que telles gens foisonnent en honneurs, & qu'ordinerement on les bonnette, pour avoir quelque titre de faveur: si mourront ils sans renom, & reputation, & les doctes folies de poëtes survivront les innombrables siecles avenir, criant la gloire des princes consacrés par eus à l'immortalité.

 

 

 

 

Erstdruck und Druckvorlage

Les quatre premiers livres des Odes de Pierre de Ronsard.
Paris: Cavellart 1550.

Unpaginiert; A2r - A5r

Benutzt:
Online-Ausgabe: Exemplar BnF RES- YE- 4769
URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70071x

Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck (Editionsrichtlinien).
Die Unterscheidung:  i von j  u.  u von v  wurde eingeführt.

 

 

Kommentierte und kritische Ausgaben

 

 

 

Literatur

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