La Grande Encyclopédie

 

 

[Poésie]

[Auszug: Le lyrisme]

 

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Literatur

 

Le lyrisme. Tandis que l'épopée peint le monde dans toute sa complexité, aussi bien le monde extérieur que le monde de l'âme, la poésie lyrique exprime uniquement la vie intérieure; si parfois elle décrit les objets matériels et les circonstances extérieures, c'est pour montrer l'impression des uns et le retentissement des autres sur notre âme. De l'épopée encore la poésie lyrique se distingue, en ce que l'expression des sentiments a toujours chez elle une forme personnelle. Aussi est-il naturel que dans la littérature de la plupart des peuples le lyrisme n'apparaisse qu'après l'épopée: l'homme, d'abord confondu avec les choses extérieures et vivant pour ainsi dire de la vie du monde, n'arrive que plus tard à prendre conscience de lui-même. La poésie lyrique, ayant pour objet de peindre l'âme, pourra peindre aussi bien l'âme collective d'un peuple que l'âme individuelle d'un homme. Il y a donc deux sortes de poésie lyrique: celle où le poète se fait l'interprète des sentiments de la foule, et celle où il exprime ses sentiments personnels. Ces deux genres de lyrisme sont d'ailleurs très voisins l'un de l'autre: car, d'une part, les sentiments généraux de la foule sont éprouvés aussi par le poète qui les exprime; et, d'autre part, les sentiments personnels du poète doivent, pour être compris de tous, avoir un caractère général. Que son inspiration soit collective ou individuelle, la poésie lyrique a une matière infiniment riche: effusions religieuses, exaltations patriotiques, inquiétudes métaphysiques, aspirations morales, sentiments familiaux, joies et souffrances de l'amour, sentiment de la nature, toutes les tristesses et toutes les espérances, tous les regrets et toutes les haines, en un mot toutes les émotions du cœur humain sont de son domaine. Cette riche matière, le poète lyrique la met en œuvre avec une grande liberté. Dans la composition du poème lyrique il n'y a aucune rigueur. Entre les différentes parties du poème d'abord il n'existe aucun enchaînement logique; les images se succèdent sans avoir le plus souvent d'autre lien que le lien invisible et ténu d'un sentiment; et pour la conclusion, ou bien elle est absente, ou bien elle consiste simplement dans la reprise du thème initial. D'autre part, en ce qui concerne non plus la liaison des parties, mais la distribution du sentiment à travers ces parties, le poète lyrique ne procède pas par gradation comme l'orateur: celui-ci, cherchant à échauffer peu à peu son auditoire, commence ordinairement par un exorde calme et réserve pour la péroraison des foudres de son éloquence; au contraire le poète lyrique, voulant avant tout décharger son cœur, laisse dès le début s'épancher librement son émotion, qui peu à peu coule avec moins de force et finit par se tarir. Quant à la forme du poème lyrique, elle n'est pas moins libre que la composition; elle doit par sa variété traduire la variété des émotions. Par son allure rapide ou lente, elle peint l'agitation ou la tranquillité de l'âme; par son ampleur, elle en peint les élans. Le poète lyrique a d'ailleurs à sa disposition un grand nombre de mètres et de strophes; et si l'on ajoute enfin que pour renforcer encore ses effets il a plus d'une fois eu recours à la musique, on aura une idée assez exacte de la variété infinie et de la liberté singulière d'une pareille poésie.

Etant données les conditions de la poésie lyrique, il est à prévoir que cette poésie naîtra surtout dans les pays et aux époques, où la vie intérieure sera très intense et où régnera l'individualisme. C'est ainsi qu'en Grèce nous la voyons s'épanouir dans la période d'agitation individuelle qui correspond au renversement des monarchies et à l'établissement dans les cités d'abord des oligarchies et bientôt des démocraties: depuis la fin du VIIIe siècle jusqu'au milieu du Ve, surgit sur tous les points du monde grec, en Asie Mineure, dans les îles de la mer Ionienne et dans la Grèce continentale, une foule de poètes qui s'exercent dans toutes les variétés du lyrisme: Callinos, Tyrtée, Mimnerme, Solon, Théognis et Phocylide dans l'élégie; Archiloque, Hipponax et Simonide d'Amorgos dans l'ïambe; Anacréon, Alcée et Sapho dans la chanson; Stésichore, Ibycos, Bacchylide et Pindare dans la poésie chorale. En Italie, la vie intérieure était trop peu ardente et l'individu trop subordonné à l'Etat pour que la poésie lyrique ait vraiment pu s'y développer; elle n'y fait qu'une courte apparition, quand vers la fin de la République un timide individualisme se montre à la faveur des bouleversements politiques et sociaux; encore les poètes lyriques d'alors, les Catulle, Horace, Tibulle, Properce et Ovide, ne sont-ils que les doctes imitateurs des Grecs. Il faudra attendre la poésie chrétienne pour trouver à Rome une poésie lyrique de quelque originalité. Dans notre littérature française se vérifie encore la loi constante qui préside au développement du lyrisme. Nous n'avons pas, comme les Anglais et les Allemands, l'habitude et le goût de la vie intérieure, peut-être parce que nous ne vivons pas sous leur ciel brumeux qui arrête l'essor de l'imagination et fait se replier l'âme sur elle-même; et de plus l'individualisme n'a jamais pu chez nous, si ce n'est en ce siècle, prendre profondément racine. Aussi les poètes lyriques sont-ils rares dans notre littérature. Au moyen âge, à peine trouverait-on quelques accents lyriques chez un poète de vie irrégulière comme Villon; au XVIIe siècle, sauf chez un écrivain indépendant tel que La Fontaine, il n'y a pas trace de lyrisme; et au XVIIIe siècle, si le lyrisme est quelque part, c'est uniquement dans la prose de J.-J. Rousseau. Par contre, il y a deux siècles où le lyrisme a pu fleurir en France: au XVIe, où, par réaction contre l'ascétisme du moyen âge, la Renaissance a prêché en morale le libre épanouissement de la personne humaine et recommandé en littérature l'expansion individuelle; et au XIXe où le romantisme, à l'imitation des Anglais et des Allemands, décréta en poésie l'émancipation de l'individu, déjà proclamée en politique.

 

 

 

 

Erstdruck und Druckvorlage

La Grande Encyclopédie.
Bd. 26.
Paris: Société anonyme de La Grande encyclopédie o.J. [1899], S. 1167-1175.

Unser Auszug: S. 1172: Le lyrisme (vollständig).

Gezeichnet: Marcel Braunschvig.


La Grande Encyclopédie   online
URL: http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb377013071
URL: https://www.lexilogos.com/document/grande_encyclopedie.htm

 

 

 

Literatur

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