Émile Zola

 

 

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Sous le premier empire, ce furent Alexandre Duval et le vieux Delille, qui enterrèrent la poésie classique. Elle mourut, d'ailleurs, de sa belle mort, non point violemment, mais d'anémie et de caducité.

Et voilà que, sous le second empire, nous assistons à l'enterrement du romantisme. Ce sont de jeunes poëtes qui mènent le deuil, ceux qui se drapent comme dans un linceul, des noms d'Impassibles et de Parnassiens. Mais, cette fois, les poëtes ont aidé à mourir le mort qu'ils accompagnent; ils en ont fait un cadavre trouvant que la vie tardait bien à se retirer de ce vieux géant.

Décidément, les empires sont un mauvais sol pour la poésie. Elle pousse mieux sur les montagnes âpres, au grand vent de la liberté. Ce n'est point une plante frêle, bonne à cultiver dans le coin d'une serre impériale. Si Louis XIV a pu obtenir Molière, Corneille, La Fontaine, Racine, les Napoléon, chaque fois qu'ils ont semé des poëtes, n'ont récolté que du chiendent et des orties.

Je lis, à mesure qu'ils paraissent, les fascicules du Parnasse contemporain, que publie l'éditeur Lemerre, le dernier des croyants. Ce recueil a des senteurs de caveau. On dirait une fosse où tombent sourdement, un à un, les membres épars du grand trépassé. Encore quelques pelletées de terre, on nivellera le sol, on plantera une croix, et l'on écrira à la craie sur le bois noir: "Ci-gît le dieu Pan, assommé par ses adorateurs."

 

*       *       *

 

La Bohème est morte. Les Parnassiens qui, en d'autres temps, se seraient retirés sur la butte Monmartre, pour avoir une ressemblance de plus avec les dieux de l'Olympe, vivent comme vous et moi, en bourgeois paisible. Pas plus de nectar que d'ambroisie, je vous assure. Et quand aux fleurs de lotus, elles leur sont inconnues: ils couchent et ils aiment sur des matelas <de> laine vulgaire.

Ils sont pour la plupart employés dans des administrations publiques. Certains d'entre eux ont assez de fortune pour faire de la poésie comme ils feraient de l'escrime ou de l'équitation, si de pareils exercices eussent convenu à leur tempérament.

A peine deux ou trois d'entre eux se sont-ils donnés corps et esprit à la Muse, serrant leur ventre, déjeunant d'un sonnet et dînant d'un poème, menant la vie chiche des ambitieux qui rêvent chaque nuit de Rothschild et de Victor Hugo.

Vous voyez que les Parnassiens ne sont pas aussi noirs qu'ils voudraient le paraître. Quand ils se bercent dans les immensités, dans les mots qui n'en finissent plus, pareils à des Satans révoltés; quand ils parlent de baisers vipérins, de désespoirs inconnus, d'anéantissements suprêmes; quand ils sont Grecs, ou Danois, ou Indiens, ou Norwégiens, ou simplement dieux et demi-dieux, dites-vous que se sont de grands enfants qui font joujou, et n'ayez pas une larme pour leurs souffrances, et n'ayez pas un étonnement pour leurs culbutes divines.

Ils jouent à saute-mouton parmi les étoiles; ils se peignent sur la poitrine des cœurs saignants, avec deux sous de vermillon et deux sous noir; ils se font tailler les cheveux par leur perruquier, à la dernière mode de Ninive ou d'Athènes. Ça ne fait de mal à personne, n'est-ce pas?

 

*       *       *

 

Je plaisante, et pourtant le cas est grave.

Les Parnassiens, pour la plupart, sont des garçons de talent et d'esprit. Je ne parle pas de leur admirable facture de l'habilité prodigieuse avec laquelle ils fabriquent le vers; c'est là presque un défaut; mais il en est parmi eux qui ont un sens poétique très large. Ils sont parfois l'excellente monnaie des maîtres de 1830.

Leur cas est celui-ci.

Devant l'âge moderne qui se lève, devant l'industrie, les sciences appliquées, la démocratie et le socialisme égalitaires, les poëtes se sont effarés. Ils ont vu à l'horizon comme une grande masse noire, grouillante, qui montait et menaçait d'engloutir toutes les heureuses ignorances, tout le luxe délicat et inutile du passé. Cette descente des barbares, cette invasion de la vérité brutale les a cloués d'horreur.

Et, sur le ciel noirci par la fumée des usines, ils n'ont plus aperçu que les poteaux maigres d'une ligne télégraphique, le long de la laquelle une locomotive passait en sifflant affreusement. Dans le fond, le profil des Halles centrales, monstrueux, cachait les derniers débris du Parthénon.

Les jeunes poëtes ont cru que la locomotive sifflait la Poésie. Et alors ils se sont renfermés dans leur tour d'ivoire. Ils ont barricadé portes et fenêtres, déclarant la cité poétique en état de siège. Par horreur de l'avenir, de la vie moderne, ils se sont jetés dans le passé, dans la mort.

 

*       *       *

 

Lisez-les, interrogez-les. Ils pleurent dans le ciel, ils s'égarent dans l'histoire des peuples disparus; jamais vous ne les trouverez chez nous, avec nous.

C'est ainsi qu'ils ont voulu notre indifférence.

Puis, après avoir fait tout au monde pour nous désintéresser de leurs œuvres. Ils se sont irrités en voyant que nous ne venions pas à eux. Et, depuis lors, il faut les voir, drapés dans leur impopularité volontaire, nous regardant de leur hauteur, nous qui travaillons avec le siècle, qui en avons les fièvres, et nous traitant de vils bourgeois, d'intelligences étroites n'entendant rien aux délices olympiennes de l'Impassibilité.

Vraiment, il faut ici bien de l'indulgence pour ne point se fâcher.

Il arrive que des enfants dans la rue vous suivent en se moquant: on patiente, puis on se retourne, et, d'un geste, on renvoie les gamins à leurs billes et à leur toupie.

Non seulement les Parnassiens refusent la vie moderne, mais ils ont horreur de toute vie, de tout sentiment vrai. Ils ne se bornent pas à ressusciter l'école descriptive de Delille, à tuer la pensée; ils évitent encore avec soin la sensation [S. *3] réelle, la vie juste de la chair et du cœur. Leur poésie n'est pas même une momie conservée dans ses bandelettes, ayant encore le parfum vague de son existence d'autrefois; c'est un automate, une poupée de carton et de bois, sèche et raide, dont on entend grincer les charnières.

Et ce sont ces messieurs, les pères de ce poupon grotesque, qui se cantonnent dans un coin de notre littérature, avec des aires superbes de grands hommes martyrisés! Dès qu'ils ont un bout de journal à leur disposition, ils se hâtent de se casser mutuellement l'encensoir sur le nez, et d'afficher un superbe dédain pour les véritables lutteurs.

Chacun sa place. Qu'ils taillent leurs noix de coco dans une cellule murée, je n'y vois aucun inconvénient. Mais qu'ils nous laissent faire la besogne du siècle, sans nous jeter leurs hémistiches dans les jambes.

En littérature, les œuvres vivantes seules restent debout. Un écrivain ne peut rien bâtir dans le passé. Il faut qu'un souffle humain anime nos créations pour qu'elles aillent conter à nos fils nos douleurs, nos espérances, nos combats, notre vie entière. Refaites le Parthénon, bâtissez une mosquée, une pagode, dressez sur le sol de Paris un autel à une religion quelconque, votre idole elle-même vous éclatera de rire au nez, un beau jour, descendra de l'autel et ira se mêler à la foule agissante des rues.

 

*       *       *

 

Certains Parnassiens ont bien compris qu'il fallait déjà compter avec l'avenir. Ceux-là ont volé Gustave Flaubert et les Goncourt; ils leur ont pris des bouts de paysage parisien, de petits tableaux modernes qu'ils ont encore rétrécis, pour les faire tenir dans leurs strophes.

Et, après avoir léché péniblement leurs toiles, ils se sont frotté les mains, ils ont naïvement cru qu'ils étaient de grands poëtes et qu'ils allaient fonder une école nouvelle, parce qu'ils parlaient d'affiches jaunes et bleues, se détachant sur la blancheur d'un mur, ou qu'ils décrivaient le voyage d'un bateau mouche allant de Bercy à Meudon.

Une nouvelle école, bon Dieu! A peine une niche nouvelle, dans la petite église de Parnasse contemporain. Vraiment, parce qu'ils opposeront des couleurs, parce qu'ils prendront à nos romanciers une image juste et pittoresque, ils s'imagineront avoir inventé un art!

Il faut d'autres reins que les leurs pour créer et fonder. D'abord ils sont morts et enterrés, et je ne sais pas pourquoi ils veulent nous faire accroire qu'ils vivent encore. Ils parlent de Paris, de la vie moderne, avec une ignorance de Chinois. Le monde vivant leur est absolument fermé. Décrivez, décrivez toujours, mais ne vous mêler pas de faire parler des personnages, car vous n'avez sous la main que la troupe de Guignol.

Ah! les pauvres turlututus.

 

*       *       *

 

Je ne voulais nommer personne. Cependant, pour mieux me faire entendre, je suis forcé de citer M. François Coppée, un Parnassien repentant, dont les deux grands succès: La Bénédiction et le Passant, sont très caractéristiques.

M. Coppée a eu ce bonheur de revenir à la poésie compréhensible, juste au moment où Paris éprouvait le besoin d'écouter quelques vers. Paris, comme une jolie femme, a parfois de ces envies d'idéal. Cela l'aide à digérer.

Et quelles sont les deux pièces que Paris a applaudies: La Bénédiction, une imitation d'Hugo; le Passant, une imitation de Musset. Voilà, jusqu'à présent, ce que le Parnasse contemporain a produit de meilleur. Il a fallu que M. Coppée se séparât des purs et allât demander aux poëtes de 1830 quelques étincelles de leurs flammes.

Quand donc naîtront les poëtes qui regarderont en avant, qui n'auront point peur de leur siècle, et qui trouveront en eux la vie ardente, la vie fécondante?

 

 

 

 

Erstdruck und Druckvorlage

La Cloche
1870, Nr. 165, 3. Juni, S. *2-3.

Gezeichnet: ÉMILE ZOLA.

Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck (Editionsrichtlinien).


La Cloche   online (1868/69)
URL: https://catalog.hathitrust.org/Record/008919653

 

 

Kommentierte Ausgabe

 

 

Literatur: Zola

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Caraion, Marta: "Les philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques". Projet pour une littérature positiviste au milieu du XIXe siècle. In: La Production de l'immatériel. Théories, représentations et pratiques de la culture au XIXe siècle. Hrsg. von Jean-Yves Mollier u.a. Saint-Étienne, 2008, S. 261-275.

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Hempfer, Klaus W.: La poésie lyrique des Parnassiens, ou le contre-positivisme esthétique. In: Œuvres & Critiques 42.1 (2017), S. 279-302.

Hufnagel, Henning: Wissen und Diskurshoheit. Zum Wissenschaftsbezug in Lyrik, Poetologie und Kritik des Parnasse 1840-1900. Berlin u. Boston 2017.

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Literatur: La Cloche

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